Carlo, merci beaucoup d'inaugurer notre nouvelle collection d'interviews dédiée aux Docteurs
travaillant à l'international.
Carlo, vous travaillez maintenant en Allemagne, vous êtes italien mais vous avez obtenu votre titre de docteur en France. Serait-il possible de nous dire comment vous êtes arrivé en France?
Je suis ingénieur mécanicien et j’ai obtenu mon master en Italie. Lors de mes études, j’étais fasciné par la partie mathématique de l’ingénierie. J’ai donc décidé de me plonger dans la mécanique des fluides numérique (computational fluid dynamics ou CFD). Cette discipline est en effet un mélange entre math, physique et informatique. Peut-être à cause de la complexité de cette discipline, un doctorat est une étape commune pour devenir un vrai ingénieur CFD. En outre, pour me concentrer sur mes études, j’avais évité l’Erasmus. Mais l’expérience à l’étranger me manquait. Me voici donc à la fin de mes études, prêt à partir vers l’étranger pour un doctorat.
Je n’avais pas du tout considéré la France à l’époque. J’avais passe l’été avant mon diplôme à peaufiner mon anglais et à passer des tests de langue. Je contactais des professeurs qui travaillaient dans la CFD surtout en UK et USA. Puis un jour j’ai répondu à une annonce sur le site cfd-online.com pour l’IFPEN à Rueil Malmaison. Le sujet proposé était très intéressant : modélisation numérique de la combustion et production de polluant. D’ailleurs IFPEN avec le CERFACS, l’école centrale Paris et INSA-Rouen collaboraient très étroitement sur la modélisation de la combustion et avaient développé des modèles qui étaient devenus une référence dans le domaine. Après avoir passé les entretiens d’embauche, j’étais pris. J’aimerais raconter quelque chose de plus passionnant, mais c’est vraiment comme ça que le tout s’est déroulé.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées et quels conseils donneriez-vous à un étranger souhaitant faire sa thèse en France ?
Je ne pourrais pas dire que ce soit la norme, mais la plupart des thésards, lors de leurs stages de fin de thèse, avaient déjà collaboré avec leurs futurs encadrants à l’IFPEN. Et normalement, ils allaient travailler avec les mêmes outils, langages de programmation et sujets. Dans mon cas, lors de mes études en Italie, j’avais travaillé sur un logiciel commercial et j’avais fait très peu de programmation. Mes premiers mois furent ainsi très durs puisqu’on me demandait d’être très productifs dès le début. Marrant de penser qu’aujourd’hui j’adore programmer !
Quelque conseil pour des futurs doctorants :
1) une thèse est surtout un investissement et comme tout investissement plus grand est le risque, majeure sera la récompense (si votre investissement réussit bien-entendu). Regardez aux technologies qui vont se développer demain et essayez de collaborer avec un* encadrant* qui est très renommé* dans le sujet ;
2) Essayez de viser une thèse en collaboration avec une entreprise. Le plus dur dans une thèse, c’est ce qui se passe après. Si vous visez de travailler en entreprise, pour que votre saut académie-industrie réussisse, vous devrez avoir un réseau. Des professionnels qui vous ont déjà vu à l’œuvre. En entreprise, le nombre d’articles que vous avez écrits est certes impressionnant, mais ce n’est pas la chose qui vous permettra de décrocher votre prochain job. Votre caractère, votre capacitée de travailler en team et d’amener un projet à bien, c’est ce qui compte vraiment. Et cela, dans un CV d’une page, on ne le voit pas. Dès le premier jour, préparez-vous pour l’après thèse.
Et puis qu’est-ce qu’il s’est passé ? Pourquoi vous n’êtes pas resté en France ?
Cela est malheureusement la partie la plus dure de mon parcours. En effet, je voulais travailler en entreprise et j’avais longuement postulé. Je n’arrivais pourtant à décrocher un travail. Deux facteurs majeurs impactaient ma (peu fructueuse) recherche de travail :
· Le sujet de ma thèse était trop théorique et n’avait pas de relation avec une vrai technologie. Par exemple, j’avais travaillé sur des cas trop académiques et les entreprises automobiles pour lesquelles je postulais ne voyaient pas de lien avec la combustion dans les moteurs.
· Le master : en France, l’école de provenance est fondamentale. Bien qu’IFPEN étaient un institut très renommé, mon master pris en Italie était inconnu en France. En effet l’école de provenance représente une garantie, un certificat de qualité sur la personne embauchée. Et un recruteur jettera toujours un coup d’œil sur le master.
Mon saut en entreprise ne réussissant pas, je passe une année au CNRS à Rouen. A la fin de cette année, mes encadrants envoient mes CV à deux entreprises hors du territoire français qui écrivaient des logiciels pour la CFD. Une entreprise en Autriche et une en Allemagne. Je passe les entretiens et les deux m’acceptent. Je choisis l’Allemagne.
Quelles sont les principales différences entre faire une thèse en France et une thèse en Allemagne ?
Est-ce que vous vous êtes déjà promené dans les couloirs d’une entreprise en Allemagne ? Dans les cartes de visite, dans les profils Linkedin, dans les plaquettes de bureau, les travailleurs affichent leur titre de docteur ! En effet, en Allemagne la thèse est un titre très respecté et par exemple Angela Merkel a aussi un Ph.D ! Et, épisode bien connu, des ministres allemands qui avaient copié des parties de leur thèse sans référence, ont été force de démissionner. En Allemagne, on ne plaisante pas avec le titre de docteur.
A part le prestige, la thèse est bel-et-bien considérée comme une étape professionnelle et pas comme un titre d’étude. N’est pas très rare de voir des ingénieurs décider de commencer une thèse après la trentaine et déjà avec quelques années d’expérience. D’ailleurs le salaire d’une thèse en Allemagne n’est pas trop bas, donc renoncer à un salaire pour une thèse n’est pas dévalorisant au niveau financier.
Pour terminer, qu’est qu’il vous aide encore aujourd’hui que vous avez appris en thèse ?
Ma thèse étant très théorique, j’ai dû développer mes skills en communication pour..et bien, pour expliquer ce que je faisais. Encore aujourd’hui je dois expliquer des sujets très complexe, et quand je le fais je suis assez satisfait et j’adore rendre simple ce qui ne l’est pas.
Deux, ne pas se décourager. Quand j’ai peur et je dois apprendre quelque chose de nouveau, je pense à moi-même il y a 12 ans, qui ne parlais pas un mot de français, avec un niveau en programmation très médiocre et qui s’apprêtait à coder des modèles dans des codes académique avec des centaines de milliers de ligne de code. Parfois il faut juste tenir bon.
La modestie : quoi qu’un fasse, il y aura toujours quelqu’un de meilleur. Encore aujourd’hui je pense aux gens extrêmement talentueux que j’ai pu rencontrer lors de mon parcours et comme sur certaines choses j’étais très loin de leur niveau ! Et pourtant, l’idée qu’il y ait toujours de la marge d’amélioration c’est ce qui nous permet de progresser en entreprise. Le sentiment de pouvoir faire mieux est à mon avis un sentiment très salutaire et c’est ce qui nous permet de survivre dans des entreprises qui évoluent continuellement et qui doivent faire face à des nouveaux défis tous les jours.
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