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Jeremy STEVENS, 28 ans, Docteur en Physique, Ingénieur Quantique chez Alice&Bob.


Merci beaucoup d'avoir accepté l'interview


Pourquoi la physique ?

Quand j’ai commencé mes études je voulais connaître la réponse à la question ‘Pourquoi?’. C’est ce qui m’a fait choisir la physique plutôt que l’ingénierie mécanique qui me plaisait beaucoup également. Pendant mes 9 ans d’études, je pense qu’une transition s’est effectuée. Je ne pense pas être forcément passionné par la physique en tant que tel, mais plutôt par ce que la physique et ses méthodes nous permettent d’apprendre et de concevoir. C’est mon côté ingénieur et ma curiosité intrinsèque qui se combinent avec le temps.


Comment la physique vous a-t-elle accompagné pendant vos études dans deux pays et trois langues différentes ?

J’ai eu le privilège à mes 18 ans d’être dans une situation où je pouvais non-seulement choisir le sujet de mes études mais aussi où je voulais les faire. J’avais suivi 7 ans d’allemand dans le secondaire et je recherchais l’excellence, ce qui a motivé une licence en physique à l’ETH de Zürich en Suisse. Ce choix m’a aussi permis de me consacrer à une autre une autre passion : le ski. Après 3 ans germanophones, je voulais retrouver des contrées francophones et des études plus axées sur l’ingénierie, donc j’ai choisi de faire un master en ingénierie physique à l’EPFL à Lausanne en Suisse également, avec des cours en français et anglais. Pour ma thèse, j’ai choisi de revenir en France à l’ENS de Lyon, d’une part pour être naturalisé mais aussi parce que j’appréciai l’idée qu’une thèse soit limitée à 3 ans ce qui permettait d’avoir un horizon final clair. En fait, si la physique a été une vraie constante de mon parcours, les décisions intermédiaires ont surtout été motivées par des considérations personnelles plutôt que scientifiques. Je ne regrette pas d’avoir cherché cet équilibre.


Justement, quel était le sujet de cette thèse ?

Ma thèse a un titre barbare que je ne répèterai pas ici, mais elle porte sur les circuits supraconducteurs. Ce sont des circuits qui permettent de générer et contrôler des interactions sur mesure pour sonder la mécanique quantique de manière expérimentale. Pendant ma thèse j’ai mesuré l’imperfection de la technique qu’on utilise pour mesurer l’état quantique d’un circuit spécifique qui s’appelle Fluxonium. J’ai aussi démontré expérimentalement un effet quantique surprenant sur l’énergie nécessaire pour effectuer des opérations sur ce genre de circuit.


Et qu’est-ce qu’elle vous a apporté ?

La thèse c’est évidemment énormément de satisfaction d’être expert d’un sujet, d’en avoir la maitrise comme parfois personne d’autre. J’ai eu la chance de rédiger ma thèse sur un sujet passionnant comme la mécanique quantique, ce qui fut un défi intellectuel excitant dans un domaine qui est particulièrement à la mode aujourd’hui. Je pense que j’ai également appris à avoir de l’abnégation et de la résilience lorsque les tâches que je dois effectuer deviennent pénibles. Ce sont ces compétences qui me permettent d’effectuer le travail que je fais actuellement. Sinon, d’un point de vue personnel, la thèse est un grand moment de liberté intellectuelle, qui mène à la fin des trois années à une maturité qui se reflète mieux dans le nom anglais du diplôme : Doctor of Philosophy (PhD). Aujourd’hui je me sens curieux de tout, pas juste de la physique, et j’ai l’impression que les techniques que j’ai apprises lors de mon doctorat me permettent d’être pertinent sur une grande variété de sujets.


Qu’est-ce que l’ingénierie quantique ?

L’ingénierie quantique c’est l’utilisation des lois de la mécanique quantique pour construire de nouveaux outils avec des fonctionnalités qui n’auraient pas pu exister sans. C’est un métier qui est apparu dans les années 1950 pendant la première révolution quantique lorsqu’on a compris pour la première fois comment utiliser les résultats de la physique quantique pour construire l’ordinateur sur lequel vous lisez ce texte par exemple. Pour ma part, je fais partie d’une start-up qui essaie de construire un ordinateur quantique avec des circuits supraconducteurs. Ce futur calculateur exploitera le fait que, contrairement à un PC traditionnel, les bits quantiques qui le composeront pourront avoir ‘à la fois’ la valeur 0 et 1, ce qui permettra de mettre à notre portée la résolution de problèmes à jamais insolubles pour n’importe quel ordinateur classique. Mon rôle consiste à industrialiser des processus qui génèrent et stabilisent ce ‘à la fois’ très fragile propre à la mécanique quantique. À la tête d’un projet qui regroupe plusieurs autres docteurs et ingénieurs, je résous quotidiennement des problèmes de software, mathématiques et physique pour atteindre des objectifs très ambitieux fixés par nos investisseurs. C’est un métier qui demande beaucoup de connaissances techniques, une soif d’apprendre et la capacité à se focaliser sur ses objectifs.


Quelques conseils pour ceux qui se lancent dans des études/une thèse en physique ?

Pendant les études et la thèse, on est confronté à des problèmes qui paraissent insolubles. C’est très frustrant et décourageant et c’est la source de beaucoup d’anxiété. Je crois assez fort au fait que dans ces moments c’est le mental et pas forcément les connaissances qui permettent de réussir. Soyez intéressés par ce que vous faites, mais ayez aussi d’autres centres d’intérêts ; ne soyez pas seuls, choisissez les gens avec qui vous aller travailler plutôt que le sujet exact d’études ; c’est dans ce qui se passe autour des vos études/votre thèse que vous trouverez le courage et l’énergie de résoudre ces problèmes impossibles.


L’industrie versus le monde académique, comment vous positionnez-vous ?

Le monde industriel me convient mieux, parce que je travaille sur des sujets plus appliqués et je vois plus vite les fruits de mon travail que dans l’académique. Je ne pense pas qu’il y ait de bonne réponse toutefois. L’avantage de faire une thèse c’est qu’on se donne le choix !

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