De la thèse à l'action : comprendre et protéger les pollinisateurs, le filigrane d’un parcours
- Claire GAY

- 14 août
- 5 min de lecture

Merci beaucoup pour votre témoignage
Pourquoi avoir choisi de travailler dans le domaine de l’écologie et quel a été votre cursus pour y parvenir ?
Mon intérêt pour le vivant et les écosystèmes a débuté très tôt dans l’enfance. Naturellement, mon parcours professionnel a commencé par un Bac S, en sachant que je voulais faire un cursus universitaire ensuite. En effet, l’écologie – et tout ce qui a trait à la biodiversité et à la conservation en général – fait partie d’une science dont l’épicentre est l’Université. Les écoles d’ingénieurs ne forment pas vraiment à ce genre de sujet – du moins, c’était la situation il y a 10 ans. Toute cette réflexion m’a mené vers une Licence en Sciences du Vivant, parcours Écologie. J'ai ensuite approfondi mes connaissances avec un Master Recherche en Biodiversité, Écologie, Évolution (dit BEE).
Comment votre passion pour les pollinisateurs vous a-t-elle menée au doctorat ?
Ces années ont été jalonnées d'expériences professionnelles qui ont, sans conteste, forgé ma vocation. Une première en 2017 au Muséum d’Histoire Naturelle de Bordeaux m’a appris la diversité du vivant, et m’a donné le goût de travailler sur les problématiques de diversité des espèces et de leurs niches écologiques au sein du vaste domaine qu’est l’écologie. Ensuite, j’ai vraiment basculé dans l’étude des pollinisateurs et je n’en suis jamais revenue ! En 2018, mon stage à l’Université de Galway (Irlande) m'a permis d'étudier l'impact des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) sur la diversité des pollinisateurs dans la région du Burren, ce qui a été ma première immersion concrète dans ce domaine. L'année suivante, à l’Université d’Anglia Ruskin et au Jardin Botanique de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), j'ai exploré les préférences de nidification des abeilles terricoles en milieu urbain, alliant travail de terrain et analyse de données. Pour mon stage de fin d’études, j’ai décidé de rester en France et de travailler dans une infrastructure de recherche française, et c’est ainsi que s’est présentée l’opportunité de travailler au Centre d’ Études Biologiques de Chizé (Unité Mixte de Recherche - La Rochelle Université/CNRS/INRAE) entre janvier et août 2020. Lors de ce stage de Master 2, j’ai étudié la dynamique temporelle d’utilisation des ressources florales par les abeilles domestiques et les pollinisateurs sauvages dans les plaines agricoles.
Ces expériences successives ont consolidé mon appétit pour la recherche et ont clairement tracé mon chemin vers le doctorat, avec un fil conducteur : les pollinisateurs et leur rôle crucial dans les écosystèmes.
En quoi a consisté votre thèse de doctorat et quels en ont été les principaux apports scientifiques ?
De 2020 à 2023, j'ai réalisé ma thèse de doctorat en Biologie de l'Environnement, des Populations, Écologie, au sein du Centre d'Études Biologiques de Chizé, employée par le CNRS et co-dirigée CNRS-INRAE. Mon travail, financé par le programme SHOWCASE de la Commission Européenne, visait à comprendre le rôle des pollinisateurs et leurs interactions dans les paysages agricoles, et notamment dans les grandes cultures que sont le colza et le tournesol. Je m’intéressais donc aux abeilles (domestiques ou sauvages) qui avaient pu être échantillonnées sur ma zone d’étude, à leur diversité et à leurs habitats, mais je m’intéressais aussi aux papillons ou encore aux syrphes (des diptères pollinisateurs). L’idée générale était de regarder comment toutes ces espèces interagissaient avec la ressource florale présente dans le paysage, si elles avaient tendance à visiter les mêmes fleurs ou fréquenter les mêmes cultures, etc.
Mes recherches se sont concentrées sur trois aspects clefs : (1) j'ai étudié la diversité des abeilles sauvages en plaine agricole en agrégeant des données récoltées sur 10 ans ; (2) j’ai analysé le partage des ressources par les abeilles domestiques et les pollinisateurs sauvages ; et (3) j’ai examiné l'effet de la structure de ces interactions plantes-insectes sur la stabilité des écosystèmes. Un des principaux apports de ma thèse est la démonstration que la structure des réseaux plantes-pollinisateurs est affectée par le type de culture dans les paysages agricoles intensifs et que le fonctionnement n’est pas monolithique, un résultat publié dans Agriculture, Ecosystems & Environment. Le colza et le tournesol ont beau créer des paysages monofloraux à perte de vue, ce n’est pas pour autant que les réseaux d’interactions sont construits de la même façon dans chacun d’entre eux ! Un autre résultat intéressant se situe dans mon premier chapitre de thèse : nous avons montré que les plaines céréalières intensives peuvent accueillir près d’un tiers des abeilles sauvages recensées en France métropolitaine, comme ce fût le cas sur notre zone d’étude qui faisait pourtant moins de 500 km². Il y a de la diversité à protéger partout, dans tout type d’environnement !
Comment votre doctorat vous est-il utile au quotidien ?
J’ai beaucoup aimé la recherche publique, mais j’avais aussi besoin de choses concrètes et de diversifier mes activités après trois ans de thèse. Voir autre chose. J’ai donc enchaîné depuis un peu plus d’un an avec un premier poste en bureau d’études où nous faisons aussi de la recherche, avec l’écriture d’articles scientifiques, des collaborations universitaires et des thèses CIFRE. Mes missions consistent à développer des protocoles de biosurveillance innovants utilisant l'ADN environnemental appliqué aux abeilles (domestiques ou semi-gérées comme les osmies et les bourdons terrestres) et aux plantes. Je suis responsable de l'analyse, de l'interprétation et de la restitution pédagogique des résultats, tout en contribuant à la rédaction d'articles scientifiques en collaboration avec des universitaires.
Parallèlement à ma carrière professionnelle, mon doctorat a été un moteur essentiel pour mon développement personnel et mon engagement associatif. Je ne définis plus mes activités uniquement par le travail pour lequel je suis rémunérée : mon quotidien est rythmé par l’étude des pollinisateurs et leur conservation. En 2024, j'ai co-fondé et je préside une association dédiée à la protection des pollinisateurs sauvages et de leurs habitats en Nouvelle-Aquitaine. Grâce à l'expertise acquise pendant ma thèse, je peux organiser des sorties nature, donner des conférences, créer des supports pédagogiques... Le doctorat m'a non seulement donné les connaissances, mais aussi la légitimité, le réseau et les compétences de vulgarisation pour agir concrètement en faveur de ces espèces.
Quels conseils donneriez-vous à une personne qui hésiterait à se lancer dans une thèse, en particulier en biologie de l'environnement et écologie ?
La motivation est la question centrale à se poser. Le doctorat, ce n’est pas un long fleuve tranquille : il y a des hauts et des bas. On est heureux d’en faire un tant il apporte, mais ce n’est pas un hasard si on est aussi heureux quand ça se termine ! C’est une aventure intellectuelle, mais aussi – beaucoup plus qu’on ne le pense – une aventure humaine. Et cette aventure-là ne doit pas être perçue comme un simple prolongement des études, en aucun cas. Faire une thèse m’a fait prendre beaucoup de recul sur la vie professionnelle et la vie en général.
Si vous vous orientez plus précisément vers l’écologie, le doctorat, c'est aussi devenu un moyen de protéger la planète et de changer les choses à notre échelle. Avec les connaissances que cela apporte, nous disposons alors d’une voix qui porte un peu plus que celles des autres, avec des arguments fondés et clairs. Une thèse en écologie c’est donc quelque part une façon de contribuer activement à un sujet majeur, si ce n’est le sujet majeur, de notre époque.





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