Une thèse à 40 ans, est-ce bien raisonnable ?
- Alexis COURTOIS
- il y a 1 jour
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Merci beaucoup pour votre témoignage
Lorsque vous étiez étudiant à Polytech Sorbonne dans les années 90, quelle était votre vision de la recherche et de la thèse en particulier ?
Au siècle dernier, ça s’appelait l’Institut de Sciences et Technologie, tout en étant déjà une école post-bac. Je m’étais orienté vers l’ingénierie du bâtiment et des travaux publics et il me semble qu’à cette époque, les mondes de la recherche et du BTP étaient beaucoup plus éloignés qu’aujourd’hui. La plupart de mes professeurs issus du monde de l’entreprise nous encourageaient à « travailler pour de vrai », sans perdre de temps à travailler sur des sujets compliqués sans application pratique. Un Master de recherche ou un Doctorat étaient perçus comme une occupation pour étudiant craignant de se confronter à la réalité « du terrain » et préférant donc flâner encore un peu à l’Université, milieu soi-disant protégé. Influencé par ces raisonnements très franco-français mais indiscutablement biaisés et hautement contestables, je n’ai pas envisagé de me tourner vers la recherche une fois mon diplôme d’ingénieur en poche.
Pourquoi avez-vous changé d’avis ?
Mon regard sur le monde de la recherche a évolué au gré de mes stages en entreprise, justement. Paradoxalement, il s’est avéré que certaines personnes qui nous déconseillaient de nous engager dans une thèse… en avaient une ! Et il me semblait que leur carrière n’avait pas été particulièrement entravée. Par ailleurs, j’ai été stagiaire dans un bureau d’études qui travaillait avec un grand établissement public de recherche, pour le bénéfice des deux parties. Enfin, mon premier poste se trouvait dans un département de R&D, à EDF, et là j’étais quasiment le seul ingénieur à ne pas avoir de Doctorat. Et j’ai souvent dû répondre à la question « Quel était votre sujet de thèse ? » par un piteux « Je ne suis pas Docteur, désolé ! ». C’était un peu frustrant mais pas suffisamment pour se lancer dans une telle entreprise. Après tout, une carrière d’ingénieurs peut prendre diverses tournures et on peut s’éloigner de la recherche. C’est ce que j’ai d’ailleurs fait en prenant un deuxième poste, toujours à EDF, mais coté ingénierie nucléaire. A nouveau, j’ai constaté qu’une ingénierie de pointe et innovante allait de pair avec des travaux collaboratifs en R&D. A ce titre, les contacts étaient très fréquents avec des instituts de recherches français et étrangers. Au mitan de la trentaine, à l’heure de certains choix pour la suite de la carrière, j’ai voulu me tourner vers l’expertise technique. C’est là que je me suis aperçu que l’absence de Doctorat était probablement une lacune sur un CV d’expert de haut niveau, surtout dans les instances internationales. Pour mon troisième poste, très centré sur les aspects techniques mais dans un domaine nouveau pour moi, j’ai eu la chance immense de trouver un employeur à l’écoute et ouvert à un projet de thèse qui se déroulerait en parallèle de mon « vrai » travail, moyennant une convention signée des deux parties. C’est ainsi, avec l’appui de ma famille et de mes collègues, que je me suis lancé, à 40 ans, dans ce beau projet.
Quels conseils donneriez-vous à un ingénieur à mi-carrière qui voudrait se lancer dans un Doctorat ?
La première condition est que la famille soit pleinement embarquée car c’est elle qui va principalement subir les inconvénients d’un tel projet. Bien évidemment, l’employeur doit trouver son intérêt lui aussi et il faut trouver un sujet qui soit à la fois scientifiquement et industriellement intéressant, en lien avec ses activités professionnelles et traitable dans un délai raisonnable. En ce qui me concerne, j’avais convenu avec l’Ecole Doctorale et le laboratoire universitaire que le projet prendrait au moins 4 ans, sachant qu’on pouvait aller sans trop de difficulté jusqu’à 6. J’avais 20% de mon temps de travail officiellement dédié au sujet de thèse et j’ai dédié une bonne partie de mes congés à ma thèse également. Les objectifs scientifiques restaient relativement modestes et pour la soutenance, je me suis contenté d’un article simplement soumis à une revue plutôt que d’attendre qu’il soit accepté. Bref, il a fallu relaxer certains critères habituels d’évaluation. Malgré tout, comme tous les thésards, j’ai connu des moments d’exaltation, des passages à vide, des remises en question etc. Je pense que ça va de paire avec l’implication et l’exigence d’un travail de recherche. Et j’ai finalement trouvé ce que j’avais cherché : une aventure humaine, un projet marqué de son emprunte et l’acquisition d’une certaine rigueur dans la rédaction. Je ne remercierai jamais assez tous ceux qui m’ont accompagné et fait confiance durant cette période de ma vie.
Qu’est ce que vous apporte l’expérience de thésard, au quotidien, 10 ans après ?
Je pense que ce projet m’a apporté de la confiance en moi. J’ai également progressé en pédagogie et je suis mieux armé pour élaborer ou évaluer des projets de R&D ou d’innovation, connaissant les fondamentaux d’un tel travail. C’est utile dans mon quotidien, quand il s’agit d’orienter un travail de recherche impliquant un thésard ou d’évaluer les chances de succès d’un partenariat. D’un certain coté, je pense être moins « naïf » que d’autres collègues dans la relation industrie-recherche.
Aujourd’hui je peux affirmer que les propos médisants entendus à l’école sur le parcours de thèse étaient diffamatoires. Mais, heureusement, les temps ont changé et la formation par la recherche est désormais mieux valorisée en France, même si elle reste moins appréciée que dans d’autres pays. Et ce, quel que soit l’âge auquel on entreprend le voyage initiatique du Doctorat.
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